Morts par la France: Thiaroye 1944 est une Bd reportage réussie, un album coup de poing captivant et questionnant. C‘est un objet dessiné qui contribue de belle manière à remettre un massacre occulté en pleine lumière pour qu’enfin les choses évoluent et que justice soit faite. Ecrite par Pat Perna, illustrée par Nicolas Otéro, colorisée par 1ver2anes, elle rend hommage à l’opiniâtreté d’une chercheuse qui tente depuis près de 20 ans de réhabiliter des tirailleurs sénégalais injustement exécutés au sortir de la seconde guerre mondiale par les soldats d’un pays auxquels ils étaitent venus porter main forte.
Editée par Les Arènes bd, elle porte à la connaissance de tous un scandale d’état et un long combat pour que la vérité triomphe et que la France reconnaisse ses erreurs, ferme une plaie béante connue de tous au Sénégal et mette fin à jamais à une vision condescendante et raciste.
C‘est en lisant une Bd de Tardi, que l’ancien journaliste décide de s’intéresser aux tirailleurs sénagalais. Il se rend rapidement compte qu’il existe bien peu de choses sur le sujet. Peu de temps avant le festival Malouin, il rencontre Armelle Mabon qui lui remet son ouvrage et lui explique sa confrontation avec l’ administration et le ministère des armées pour qu’un procès en révision se tienne un jour et réhabilite des soldats, reconnaisse la tuerie et indique l’endroit exact ou des centaines d’hommes musulmans exécutés sont inhumés afin de les rendre à leurs familles.
Après avoir fait la connaissance de Nicolas Otéro que son ami Chabouté lui avait recommandé, les deux hommes sont partis en reportage en quête d’informations à Dakar à la rencontre des témoins, d‘anciens militaires et même d’un fils de tirailleur tué à Thiaroye. L’histoire est chapitrée afin de marquer des pauses mais aussi de ne pas trop s’éparpiller . La démarche de Pat Perna est singulière, il cherche, recoupe les sources, écrit un article sur le sujet dans la revue 21 qui est assez éclairant. Il est repris avec pertinence à la fin de l’opus apportant du crédit à cette savoureuse enquête teintée de références littéraires splendides et de clins d’œil musicaux sympathiques.
Nicolas Otéro s’est immergé pleinement dans cette histoire. Il a tout de suite accepté le projet qui avait une résonnance particulière pour lui. Il a effectué de nombreux repérages et photographies qui lui ont servi dans son travail. Ces quelques jours en Afrique l’ont bousculé. Pour s’imprégner, il a d’abord puisé dans la documentation avant de créer physiquement des personnages habités et convaincants. Son découpage apporte beaucoup de rythme, il nous embarque efficacement.
Son traitement graphique est plein d’humanité et complètement au service des émotions. Son dessin est plus synthétique, sa ligne juste, il parvient à dédramatiser beaucoup de choses et à rendre accessible ce récit bouleversant au grand public.
Les couleurs réalisées à l’informatique sont tout autant séduisantes, elles apportent une harmonie globale intéressante et beaucup de sensibilité.
Quant à la couverture de l’album inspirée des affiches coloniales de l’époque, avec sa typologie caractéristique, elle est à l’image de l’album : sublime.
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