Mohamed Ali, Kinshasa 1974, est un one shot généreux et savoureux édité par Aire Libre chez Dupuis. Il a connu dans sa genèse bien des péripéties qui le rendent unique et exceptionnel. Son auteur parle d’un « parcours du combattant » et quand on lit les annexes de l’ouvrage, on en est convaincu. Il a la particularité d’être illustré par une combinaison intelligente d’images dessinées par Rafael Ortiz et de clichés pris au plus près des cordes par le parrain de toute une génération de photojournalistes le franco-iranien Abbas.
Gavé d’informations pertinentes, l’album nous introduit dans les coulisses d’un duel entre deux boxeurs aux allures biens différentes.
Mohamed Ali est bien sûr au cœur de ce récit, les scénaristes restituent un destin américain incroyable. Ils reviennent sur ses origines, son ascension, le personnage qu’il s’est façonné et ses qualités exceptionnelles.
L’homme a été injustement écarté des compétitions. On lui a retiré son titre et sa licence après son refus de s’enrôler pour la guerre du Vietnam. On le croyait fini et pourtant « the greatest » s’est remis en selle et à 30 ans passé, le sportif engagé, militant de la cause noire et stratège rêve de reconquérir son titre. C’est la raison pour laquelle le 30 octobre 1974, il affronte le tenant du titre Georges Foreman, le texan, un impressionnant bloc de pierre, flamboyant et musculeux qui est facilement venu à bout de Joe Frazier quelques mois avant d’atomiser Ken Norton.
C’est pour assister à ce fabuleux duel financé par le dictateur Mobutu, organisé par le promoteur exubérant et peu recommandable Don King que les reporters du monde entier se pressent au Zaïre pour couvrir un événement aux tonalités politiques. Ali aura finalement le dessus dans un combat où l’esprit aura l’avantage sur la force pure. Une fois de plus, son vainqueur jouera de provocations, de son charme et de sa verve pour conquérir le cœur des foules.
Parmi les nombreux journalistes, il y a Abbas qui immortalisera cette rencontre mythique et conservera pour lui ses clichés pendant 36 années. Décédé en 2018, l’homme qui a été membre de Sipa Press, Gamma puis Magnum photo est incontestablement l’un des témoins majeurs de ce siècle et il était évident qu’il serait l’un des protagonistes de cette collection initiée par le bédéiste prolifique qui est aussi, ce n’est un secret pour personne, un amateur éclairé de ce médium.
On découvre au fil des pages une galerie de portraits tout à fait succulente et on glisse très habilement d’un personnage à un autre. Les scénaristes distillent les informations et nous régalent.
Dans le cadre de la genèse de cet album, Jean-David Morvan s’est entretenu avec Abbas et il lui a confié des anecdotes de première main que le scénariste a finement intégré dans une narration rythmée et haletante composée de flashbacks pertinents.
L’album est un objet hybride séduisant qui exploite un concept qui a fait ses preuves.
Les photographies d’Abbas se passent de commentaires. Elles sont instinctives et toutes choisies avec soin. Évocatrices, elles constituent des instantanés magnifiques qui témoignent de l’aura de « The greatest ». Elles percent le personnage, mettent en relief son charisme, sa détermination et son côté calculateur. Elles contrastent avec les jolies illustrations de Rafael Ortiz. Le bédéiste qui a succédé à Horacio Altuna nous éblouit grâce à des compositions inspirées et un dessin traditionnel élégant ultra- dynamique qui reproduit avec beaucoup de talent le folklore qui entoure l’événement et la vivacité de celui qui « vole comme le papillon, pique comme l’abeille ». Son dessin traditionnel est du plus bel effet. Les couleurs délicates de Hiroyuki Ooshima sont également une divine surprise. Grâce à elles, on a l’impression de sentir l’odeur des salles de boxe, de ressentir la chaleur Africaine, et d’entendre l’effervescence populaire. Une trame a été ajoutée sur les cases qui représentent l’affrontement entre les deux poids lourds, elle apporte une puissance bluffante à une manifestation retransmise partout dans le monde.
Intéressant et très documenté, ce roman graphique est à la hauteur d’un boxeur phénoménal et d’un technicien hors pair, il est copieux, riche, terriblement addictif et magnifique.
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