Luc Brunschwig connaît la musique et sait orchestrer un récit. Si l’entrée en matière était alléchante, la suite ne démérite pas. Les deux frères ont vu leur monde et leurs espoirs s’effondrer et il leur a fallu prendre un nouveau départ.
Contraints de fuir le Nord de la France, les deux fils de migrants polonais ont atterri à Paris où ils ont trouvé de l’aide auprès de la communauté juive. Pour des questions de sécurité, ils furent séparés.
Si Salomon exerce dans un atelier de couture, son frangin se forme à la coiffure et semble plutôt bien s’en accommoder. Après plusieurs mois sans nouvelles l’un de l’autre, ils se retrouvent et de nouvelles péripéties les attendent.
Bien que liés par le sang, ils sont différents et Moïse le constate au pire moment. Si l’un est laborieux, gauche et a une fâcheuse tendance à se mettre dans l’embarras, l’autre est instinctif, et audacieux. Le livre dessiné nous dévoile les nombreux dons d’un jeune homme facilement adaptable et astucieux qui apprendra à ses dépens que rien n’est joué d’avance, que le destin peut être impitoyable et qu’il faut savoir être prudent.
L’auteur nous réserve bien des surprises avec l’émergence de rôles secondaires intéressants. Au fur et à mesure, il affine la psychologie des principaux acteurs auxquels on s’attache inévitablement. Il nous immerge dans les camps et rapidement l’horreur nous saute à la gorge.
Pour cette entreprise qui s’annonce dense, il s’est entouré de deux dessinateurs dont il apprécie le travail mais aussi d’une coloriste exceptionnelle.
Il y a d’abord Étienne Le Roux avec lequel il réalisa la trilogie La mémoire dans les poches. C’était un choix évident car c’est un artiste productif, régulier dont le dessin soigné et élégant est propice à une écriture feuilletonesque d’envergure. C’est aussi un complice de longue date, l’un des premiers à avoir eu vent de cette belle aventure qui va s’étendre jusqu’ en 1948 . Il se charge des personnages qu’il met habilement en cases puis imagine et esquisse les décors.
C’est ensuite Loïc Chevallier qui habille les mises en scène, ajoute les détails puis encre les ornements.
Ensemble, ils offrent aux épisodes un rendu généreux et séduisant qui complète avantageusement la narration.
Comme à son habitude, la coloriste Elvire De Cock magnifie les projets auxquels elle contribue. Les ambiances qu’elle livre sont justes et délicates et ses éclairages fabuleux. Les scènes dans les camps sont oppressantes et celles dans le cinéma assez fascinantes.
La saga Les frères Rubinstein célèbre l’association de bédéistes talentueux. Ils donnent vie à une fresque ambitieuse qui transpire la maturité et le savoir-faire.
Les deux premiers volumes sont à la fois copieux et splendides. Ils laissent entrevoir un potentiel qui devrait nous tenir en haleine encore longtemps tout en constituant une bien belle introduction.
Avec une science du récit qui lui est propre, le brillant scénariste nominé pour le prix Jacques-Lob dans le cadre de BD Boum 37 réussit une nouvelle fois à bouleverser les lecteurs tout en les faisant réfléchir. Avec cette fratrie liée et aimante inspirée par la relation qu’il entretient avec son frère, il nous embarque dans un monde qui bascule à toute vitesse et c’est passionnant.
A un moment où les témoignages historiques sont légion, il a su imaginer une fiction historique captivante à laquelle il réfléchit depuis 26 ans. Il est parvenu à trouver un angle de vue pertinent pour aborder des événements familiaux qui lui tiennent à cœur et traiter d’une période excitante qui suscite toujours beaucoup d’intérêt de la part du public.
On ressort de la lecture conquis et animé par une très forte envie d’en savoir davantage. Vivement la suite !