Compte-tenu de la situation anxiogène que nous traversons, il faut actuellement pas mal de courage pour proposer des livres dessinés flirtant avec la science-fiction. Philippe Gauckler fait partie de ceux qui se prêtent à l’exercice et qui le font brillamment.
Il signe un scénario inspiré par un roman confidentiel : La sphère d’or d’ Erle Cox auquel il rend un hommage discret en nommant malicieusement son héros Roy Koks.
Il a imaginé une captivante revisite du mythe de la Belle au bois dormant et composé au passage un personnage féminin puissant, intrigant et magnétique et une BD de matières et d’atmosphères comme on les aime.
Il nous avait laissé sur une situation explosive, une confrontation inéluctable entre les partisans d’un extractivisme forcené et les autres, les humains soucieux du respect des traditions, de la nature et du bien commun.
Dans ce second épisode, on constate que la tension est à son paroxysme. Les autorités se sont approprié le diamant et son contenu provoquant une vive colère.
L’ex-joueur de hockey reconverti dans la prospection minière se remémore la découverte miraculeuse puis l’escalade dramatique qui a conduit à ce tumulte. Les militaires ont cédé à la force et l’issue semble désespérée. Sa présentation des faits nous embarque. Avec lui, on glisse de la réalité vers le fantastique. Le processus narratif est nourri de nombreux flash-backs ce qui est à la fois pertinent et prenant. Les révélations s’accumulent ce qui ne manque pas de saveur. A 3 reprises cependant, le dessinateur glisse d’habiles respirations par le biais de doubles-pages somptueuses. Il en profite pour figer le moment et apporter d’intéressantes précisions comme il le fait dans le cahier graphique qui clôture et complète avantageusement l’album.
Philippe Gauckler nous propose un découpage dans lequel il multiplie les cases panoramiques. Elles fourmillent de détails et nous invitent à laisser traîner notre regard, à prendre le temps.
Côté dessin, on est rapidement conquis par des illustrations précises, instinctives et raffinées. Elles sont habillées par des couleurs directes ensorcelantes et diverses teintes bleutées qui assurent un rendu assez exceptionnel.
Avec les nuances qu’il produit avec des encres et de l’eau de javel, il apporte une dimension incroyable traduisant le froid, l’azur ou encore un aspect céleste et beau.
Sa représentation des véhicules, des engins est une performance convaincante qui insiste efficacement sur l’emploi de moyens démesurés déployés pour entamer la croûte terrestre.
Kebek est une œuvre de 170 planches qu’il faut lire et relire pour en apprécier toutes les subtilités.
C’ est aussi un ouvrage dérangeant et dense qui suscite bien des interrogations.
Comme son collègue Enki Bilal, l’artiste avait envie de nous alerter sur les dangers générés par une quête de matière forcenée.
Avec une multitude d’effets et un projet abouti qui s’achève sur des portes ouvertes et pas mal d’envies, il nous bouscule et nous sensibilise très judicieusement.
Lorsqu’on referme cet ultime opus, on s’abandonne à la réflexion et on est quand même bien tenté de réserver un moment pour venir admirer les planches qui devraient être exposées, si tout se passe comme prévu, en juin, dans une superbe galerie située 36 rue du Louvre à Paris.
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