L’artiste qui nous avait laissé une forte impression avec Jours de sable est de retour avec sa version en bande dessinée d’un livre publié en 1954, dix ans après la guerre, une œuvre bouleversante qui a déjà retourné le cœur de plusieurs générations, un best-seller déjà adapté au cinéma qui fait une entrée remarquée par son intermédiaire dans le prolifique neuvième art.
C’est l’histoire de jeunes garçons anglais, bien éduqués, qui se retrouvent seuls sur une île déserte de l’océan pacifique à la suite d’un accident d’avion. Dans un premier temps, ils tentent de s’organiser jusqu’à ce qu’ils glissent vers la sauvagerie et l’horreur évoluant rapidement en une horde primitive incontrôlable. La raison cédera peu à peu la place à la loi du plus fort, la différence ne sera, comme c’est souvent le cas, plus tolérée.
Elle est rédigée par un professeur d’anglais et de philosophie qui a été témoin d’ atrocités, un expert à l’œil affûté, un observateur avisé, fin psychologue qui recevra quelques années plus tard le prestigieux prix Nobel de littérature.
La vision proposée par la dessinatrice, qui avait ce projet en tête de longue date, présente de nombreuses qualités.
Elle est abordable, extrêmement lisible, et envoûtante, elle traduit la modernité de ce récit avec un sens de la mise en scène impeccable, de belles couleurs immersives et bluffantes qui dotent ce chef-d’œuvre d’une dimension supplémentaire, fantastique voire mystique.
L’autrice a tenu a être la plus fidèle possible à la matière originale conservant la symbolique des personnages et un texte qui met parfaitement en lumière les contradictions de la nature humaine.
Son découpage en apparence assez classique est en fait varié, efficace et ingénieux. Il contient des fulgurances et régulièrement des pleines pages qui font office de respirations subtiles, d’abord, mais qui peuvent aussi mettre l’accent sur des temps forts, et mettre en relief un basculement. Les contours imparfaits de certaines cases, la belle alternance des formats utilisés ajoutent une sensation de fraîcheur, d’ingénuité. On est assez proche de l’album pour enfant car l’illustratrice multiplie les effets pour faciliter la lecture, et l’accès au plus grand nombre à un texte intelligent et éclairant. Avec son dessin naïf, elle confère de la candeur à un récit profond et pessimiste. Son découpage est aussi étonnant que le format du livre (assez petit mais très épais).
Elle soigne particulièrement les expressions de ses personnages, les regards innocents deviennent de plus en plus inquiétants en fonction de la progression de l’intrigue. Le casting est composé d’individus en mutation et de héros qui passent de la solidarité à la rivalité.
Elle installe un contraste saisissant entre un rendu faussement inoffensif, lumineux et un contenu perturbant et sombre.
Au fil des pages, tout dérape, on passe alors de l’innocence à la brutalité , du respect des règles, de la civilisation à l’anarchie. La bédéiste met son savoir-faire au service de la narration pour accroître la portée des mots grâce à des ambiances paradisiaques dans un premier temps puis étouffantes et malaisantes.
On imagine une longue maturation du processus créatif qui s’impose lentement pour nous hanter ensuite durablement.
Aimée de Jongh est parvenue à sublimer un texte magistral, à lui ajouter de la densité et du rythme. Elle partage avec le lecteur un immense coup de foudre. Elle entretient la tension, le suspense avec panache, et nous donne au final une furieuse envie de nous précipiter sur un écrit traumatisant et culte qui s’est déjà vendu à des millions d’exemplaires et qui est , hélas, aujourd’hui plus que jamais, terriblement d’actualité.
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