L’auteur s’offre ici un nouveau challenge et compose un joli one shot découpé en trois parties avec pour toile de fond un contexte copieux. Il nous invite à suivre des personnages parfaitement brossés et leur trajectoire respective.
Il en résulte une œuvre vaste, des livres denses et rythmés comme on les aime.
Il situe son récit quelque temps après l’effondrement du communisme, au moment où les oligarques profitent du démantèlement, de la désindustrialisation, des privatisations pour construire des empires. Poutine a pris la tête du pouvoir et pour les pays de l’ex-URSS qui restaient des pays administrés centralisés, c’est un cataclysme, une période propice à l’émergence de monstres.
Alors que l’occidental moyen considérait cette transformation comme une bénédiction, qu’une expérience que l’on savait « bancale » touchait à sa fin, l’artiste autodidacte diplômé en commerce et sociologie décida de se rendre sur les lieux, à vélo en Géorgie d’abord. Fasciné par l’expérience collectiviste, celui qui avait beaucoup lu, est allé à la rencontre des gens et il est revenu profondément marqué par cette aventure, par ses nombreuses expéditions.
Il a été très surpris par les contradictions entre ce qu’il a vu et entendu. Alors qu’il s’attendait à l’euphorie il a été confronté à pas mal de déception.
Il a composé avec beaucoup de recul une intrigue au premier degré qui fait rire et prendre conscience de ce que fut cette période. Il offre une vision comique d’un événement tragique et comme toujours avec le bédéiste le résultat est brillant et subtil.
Il a fait le choix de rester au plus près du ressenti des gens côtoyés alors. Beaucoup avaient en eux cet idéalisme intégré et au bout du compte, une grande nostalgie qui transpire de certains protagonistes. Il campe des êtres faillibles profondément humains et attachants.
Il y a par exemple Dimitri Lavrine un bonhomme détestable et idéologiquement contestable. Il prend en charge le projet capitaliste du pays. L’homme a le commerce dans le sang et il est déterminé à tout mettre en œuvre pour s’enrichir. Et puis il y a Volodia, une force de la nature, une furie que rien n’arrête et qui pourtant possède des fêlures, des fragilités.
Dans ce récit, il nous parle d’une triste réalité, de mineurs bousculés par la conjoncture qui vont perdre leur outil de travail, à moins que…. Et puis, dans ce second volet intitulé « Les nouveaux russes », il est aussi question d’amour entre Slava, un artiste un peu perdu et Nina, une jeune fille aussi belle que déterminée.
C’est ce Caucase grandiose et culturellement fantastique qui a fait naître cette narration ciselée dans laquelle on identifie immédiatement la pâte de l’artiste. Les décors sont superbes. Son dessin nerveux à l’encre et à la plume sur papier défile à toute allure. Comme son maître Franquin, il simplifie les traits de ses acteurs leur conférant un aspect caricatural et amusant. Son rendu élimé, fatigué génère une atmosphère incroyable renforcée par une colorisation hybride qui se rapproche de la sérigraphie avec une dominante forte et une rupture, un processus simple, terriblement efficace.
Une fois de plus, Pierre Henry Gomont nous prouve qu’il occupe une place à part dans le petit monde de la BD. L’artiste complet ne cède jamais à la facilité et confirme à chaque opus qu’il possède cette capacité à mener des projets d’envergure réflexifs, agréables à lire et captivants ce qui explique facilement l’engouement mérité du public pour chacune de ses créations.
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