Il est réalisé pour Casterman BD par deux auteurs qui se connaissent depuis longtemps, s’apprécient et sont issus d’horizons différents. Arthur Croque est un journaliste connu pour sa verve et Emilie Gleason, la bédéiste qui a mis tout le monde d’accord avec Ted, drôle de Coco chez Atrabile, un titre pour lequel elle a obtenu le prix révélation en 2019 à Angoulême, une distinction méritée qui lui a ouvert toutes les portes et lui a permis de mener les projets qui lui tiennent à cœur.
Pour ce récit ambitieux, elle est partie d’un constat général inquiétant. Elle a ensuite lu des enquêtes sur le lobby de l’industrie agroalimentaire et notamment du sucre, « l’autre poudre ». Elle a réalisé que le problème n’était pas l’ingrédient mais le mélange diabolique entre ce produit et le gras, une recette composée sciemment par des scientifiques pour activer le circuit de la récompense sans saturer les papilles, et installer une terrible addiction légale, omniprésente qui touche près de 10 pour cent de la population, en majorité des femmes.
La dessinatrice a d’abord été animée par le souci d’alerter, de faire entendre la détresse en donnant la parole à des victimes tout en les déculpabilisant.
Pour cette BD, les deux amis ont entamé différentes démarches. Ils ont commencé par des enquêtes de terrain, des interviews avant d’être interrompus par le COVID, puis le confinement qui finalement leur ont permis d’assister à des meetings en ligne de food addict, et de recueillir de précieux témoignages, des échanges grâce auxquels les participants se donnaient la main, se soutenaient. Avec certains, la confiance s’est progressivement installée.
A partir de ces nombreux personnages qui existent tous, et de leurs propos, les créateurs de la bd ont imaginé une narration.
Dans Junk Food, on suit une zazou qui nous embarque à la rencontre de personnes qui s’entraident, se serrent les coudes et partagent leur combat contre la malbouffe.
Emilie Gleason qui fut marquée par des films visuellement forts comme Requiem for a dream et Trainspotting sur la dépendance a eu l’idée subtile d’introduire son récit par une histoire glaçante, elle commente le syndrome du cheese-cake et du rat. C’est redoutable, saisissant et ultra-efficace.
Mais la particularité de ce livre qui a pour thème un scandale sanitaire majeur c’est le traitement en bd de l’autrice qui met un scène un travail d’investigation conséquent d’une manière tout à fait singulière. La gravité est contrebalancée par l’humour, un dessin enfantin, naïf très élastique et des couleurs vives voire criardes conçues avec Photoshop qui réveillent la rétine. Avec elle, on apprend en s’amusant. Les premières pages passées, on est conquis par ses illustrations à l’i pad inspirées par Bob l’éponge et gumball mais également par les expressions cartoony dont elle affuble ses personnages. On est séduit par les multiples métaphores visuelles mais aussi par le caractère ludique, jubilatoire, incisif et percutant d’images qui au bout du compte suscitent l’empathie. Cette enfant de la télé ajoute des onomatopées, une dimension sonore et des décors animés.
Junk Food est au final un livre qui compte, informe et se démarque par son originalité. Il prouve que l’humour reste un puissant levier pour aborder tous les sujets, faire avancer la réflexion, réclamer un nécessaire débat et une législation responsable sur un poison hélas encore sous-estimé.
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