C’est un album qui met en lumière une pratique cruelle et mythique qui aurait consisté à attirer les bâteaux sur les récifs lorsque les conditions en mer étaient périlleuses.
Le bédéiste situe son récit en Angleterre, à Greenway, un petit village dans lequel les habitants pratiquent cet usage. Un soir d’orage, ils s’activent pour orienter sur les côtes les navires en détresse. Cette nuit du 14 octobre 1704 sera tragique. Les éléments sont déchaînés et les visages des marins crispés. Le Meredith, un trois-mâts goélette qui avait son port d’attache à Weymouth est en vue. Il a à son bord un équipage dirigé par un meneur d’homme redoutable, le chevalier de Saint Martin, un capitaine français mystérieux qui possède un singe et des amis puissants. Il a dans la cale de son vaisseau un trésor qui attire bien des convoitises. Piégé par les villageois, le fringant galion sera coulé, sa cargaison dérobée, partagée et les survivants massacrés. Le temps aurait pu faire son œuvre emportant avec lui ressentiments et regrets mais le sort en décida autrement.
L’auteur signe une narration millimétrée où les faits s’enchaînent habilement. Il utilise un procédé narratif astucieux car c’est à travers les yeux d’un jeune garçon attachant et forcément naïf que l’on découvre cette activité à très haut risque qui nécessitait la complicité d’individus (hommes et femmes) liés entre eux à jamais par un pacte inaliénable. Des familles parfois, mais souvent des petites communautés structurées avec à leur tête des chefs influents.
Comme toujours avec Rodolphe, la littérature n’est jamais loin et on reconnaît assez vite la pâte de l’érudit et ses sources d’inspiration. Les textes romantiques et les récits de l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson ont été digérés et on notera les nombreux clins d’œil glissés ici ou là. Il est vrai qu’en matière de piraterie, il y a des incontournables et le scénariste connaît son affaire. Avec lui la tension monte en même temps que les pages défilent, le lecteur est embarqué par une intrigue qui se déploie subtilement et une galerie de personnages crédibles et très peu recommandables.
Laurent Gnoni illustre l’opus avec maestria. Il lui apporte un petit côté fantastique savoureux et des ambiances qui nous donnent la chair de poule. Son travail sur la lumière est fascinant. On a l’impression de retrouver dans certaines de ses planches des allusions au grand maître, le peintre britannique William Turner. On a hâte de pouvoir observer de près et en grand format les productions de l’artiste afin d’admirer les effets de matière et surtout cette illustration retenue pour être en couverture qui est clairement un petit bijou. L’expressivité des visages fait également l’objet d’une attention particulière et le rendu final est sublime.
Naufrageurs est un divertissement irrésistible, captivant et somptueux. Son script est diabolique, sa mise en cases intéressante, ses couleurs époustouflantes et la conception graphique de Vincent Odin est une fois encore exquise.
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